Il y a des jours où les conversations sereines avec des arguments posés, opérées dans le respect des intervenants, semblent être d’une autre dimension. Mais pas aujourd’hui.

Mon moulin à vent du jour ? Éviter les accumulations d’anglicismes dans une phrase technique. Une exclamation du genre « C’est bon ! J’ai pushé le commit dans ton repo, tu peux merger le fetch, mais n’oublie pas de vérifier le diff ! » est simplement du miel à mes oreilles. Les poètes peuvent se rhabiller : les techniciens prennent la relève. Et puis, j’aurais fière allure lorsque le soir, fort d’une journée harassante de travail, je me retrouverai au New Pip’s à narrer cette belle anecdote. Alors, la vertu des femmes s’effondrera, un vieux cousin Togolais viendra m’apporter en personne les millions de dollar qu’il m’a promis sur internet, et alors je n’aurai nul besoin d’utiliser « les trois questions qui les font toutes craquer » pour finir ma soirée en beauté.

Non mais sincèrement.

On est sûr, nous, informaticiens, de rester toujours en-deça de la côte de popularité des assistants expert-comptable avec un jargon aussi sexy. J’admet que tous les gens « du métier » auront compris. C’est bien le but d’un jargon. Ce n’est d’ailleurs pas en traduisant les concepts en français qu’on se fera mieux comprendre du quidam, ça reste un jargon : il faut avoir des notions de gestion de version pour comprendre. Non, c’est l’esthète qui s’exprime : cette phrase est ultra moche, bancale, on ne dirait même pas de l’Espéranto. Les juristes avaient eu le courage, en leur temps, de parler tous français dans les documents officiels lorsque la France était la référence en terme de justice. Alors, que diable, parlons tous anglais au travail. Reconnaissons cette victoire des bretons et rendons-leur hommage, plutôt que de bricoler des phrases sans queue ni tête.

Le problème que me pose, au fond, ce genre de phrase, c’est de faire croire que l’on maîtrise ce que l’on dit alors que l’on n’a pas cherché à faire l’effort de transposer les concepts manipulés dans la langue qui nous est familière, c’est-à-dire, a priori, votre langue maternelle, fut-ce le français ou le viêtnamien, ou que sais-je encore. La traduction, c’est l’appropriation. Si celle-ci s’avère difficile ou peu satisfaisante, alors il ne faut pas s’y attacher et préférer le terme original. « thread » et « pool » en font partie à mon sens. Mais il n’y a pas lieu de dire « commit » plutôt qu’ »altération », ou « pushé » plutôt que « publié ».

Dans le cadre littéraire, réaliser une bonne traduction d’une œuvre n’est pas chose aisée, mais peut valoir le coup. Je ne vois pas pourquoi il faudrait systématiquement renoncer à traduire les concepts informatiques pour lesquels la transposition du concept initial est pleinement satisfaisante. Il faut bien entendu connaître le terme original pour pouvoir continuer de progresser et comprendre les publications techniques. Je parle juste d’essayer de traduire, même pas forcément d’adopter le terme francisé en toute circonstance. De faire un effort de compréhension.

Sinon, on fini par arriver à des bijoux de sémantique comme le panneau suivant : « ACCES INTERDIT A TOUTE PERSONNE NON AUTORISEE ». Cette lapalissade me laisse sans voix, et je ne parle même pas de l’accentuation partie pisser. Mais c’est tellement plus informatif que « ACCÈS RESTREINT » ! L’industrie du pétrole a de beaux jours devant elle tant que les facteurs de panneaux continueront de sortir d’HEC (ou seront d’anciens ingénieurs système reconvertis)